Les vraies racines de la vie

Billet
Publié le 19 avril 2016

Il y a des tics de langage. Actuellement, une expression revient fréquemment, dans un sens plutôt dépréciatif. On dénonce souvent ce qui est «hors-sol». Tous les domaines y passent. On parle de politique «hors-sol», évidemment d’agriculture « hors-sol », voire même de théologie «hors-sol»… Bref, tout ce qui serait déconnecté du réel, sans véritable enracinement dans le concret des situations, et qui n’aurait pas de solidité, de pertinence… Je ne peux m’empêcher de faire le lien avec deux autres termes qui renvoient à des réalités de notre époque : « enracinés » et « déracinés ». Difficile de ne pas penser à ces millions de déracinés, obligés de partir de chez eux pour des raisons économiques ou de guerre. Ils ont dû laisser leurs lieux familiers pour vivre des exodes douloureux où l’être tout entier est déstabilisé, coupé de ce qui lui permet de trouver sa cohérence et son équilibre. Et puis il y a nous, dans nos sociétés européennes, qui sommes à l’abri de ces drames, mais qui, pourtant, ne savons plus très bien quelles sont nos racines et notre identité. A cette époque où les horizons se brouillent, où on ne sait plus vraiment ce qui nous constitue, le risque est évidemment que les quêtes d’identité deviennent des enfermements identitaires. Une identité s’appuie sur une histoire, une tradition, elle se construit dans le croisement des rencontres et des échanges, et surtout dans l’écoute de ce qui habite notre intériorité, là où se tisse notre être profond. Il n’y a pas de prêt-à-porter identitaire possible, ni de réponse clé en mains. L’identité ne peut-être hors sol, pas plus que l’enracinement ne doit rendre prisonnier. L’identité est davantage du côté de la charpente que de l’armure, du côté de ce qui humanise que d’une peur mauvaise conseillère de nos choix. Pour nous situer dans l’existence, il faut avoir de vraies racines, mais qui, – paradoxe de la vie -, nous permettent d’être prêts à répondre à ce qui, au fond de nous, appelle à bouger et à vivre. Car, comme le disait le Pape sur l’île de Lesbos, « nous sommes tous des migrants »…

P. François Boëdec, s.j.
Président du Centre Sèvres